LA SAGA DU ZAN (Zéro Artificialisation Nette).
2023 a été une année riche en textes législatifs et règlementaires concernant la lutte contre l’artificialisation des sols. De plus, le Ministère de la transition écologique vient de mettre en ligne un guide pratique (134 pages), à destination des collectivités territoriales et des porteurs de projets. Il est composé de fiches d’aide à la limitation de l’artificialisation des sols.
Rappelons, qu’en 2021, la loi environnementale dite ‘‘climat et résilience’’ portait des objectifs et des délais de réalisation certes louables mais très contraignants. Il s’agissait :
- de réduire, sur l’actuelle décennie, de 50% les superficies artificialisées par rapport à celles de la décennie précédente [En France, de 2009 à 2019, 250.000 hectares ont été artificialisés. Ainsi, de 2020 à 2030 il pourra être artificialisé un maximum de 125.000 hectares].
- d’atteindre, en 2050, le fameux ZAN (Zéro Artificialisation Nette). Les surfaces artificialisées devront alors être compensées, pour une même superficie par des surfaces renaturées ou revégétalisées. L’artificialisation nette des sols est donc le solde de l’artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur un périmètre et une période donnés.
La loi de 2021 a le mérite de porter une définition de l’artificialisation qui tient compte des différents paramètres. Ainsi, elle précise que l’artificialisation est ‘‘l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage.’’ [C’est une définition qui a l’intérêt d’être très large. Ainsi, avec ces critères, on considère qu’à ce jour 10% des terres sont artificialisées. Par contre, en ne tenant compte que du critère hydrique (imperméabilisation), qui est la définition de l’INSEE, on descendrait à seulement 5% de terres artificialisées en France. Notons que la notion retenue par la loi de ‘‘fonction biologique des sols’’ est particulièrement intéressante. En effet, si l’on parle de l’artificialisation des sols en général mais rarement de leur qualité biologique. A cet égard, constatant que l’agriculture intensive, pour ne pas dire industrielle, appauvrit la qualité et la quantité biologique des sols travaillés, la Commission Européenne s’est enfin décidée (malgré les pressions exercées depuis vingt ans par de nombreux lobbies) a publié en juillet 2023 une proposition de Directive afin de surveiller et garantir la qualité biologique des sols (qui ne cessent de se dégrader depuis des décennies, jouant de moins en moins leur rôle de réceptacle d’eau). Ce sera un travail de très longue haleine. Souhaitons que la future Directive ne se limite pas à dresser un catalogue de bonnes intentions !]
La loi ‘‘Climat et résilience’’ de 2021 définit également, et a contrario, ce qu’est la renaturation ou désartificialisation ‘‘Elle consiste en des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé.’’ La Palice n’aurait pas mieux dit ! Le tout est de définir les outils de mesure et le niveau de la fonctionnalité en question à partir duquel un sol est considéré comme renaturé. Hélas, à ce jour, les textes ne le précisent pas.
En 2022, le décret d’application de cette loi édictait une nomenclature particulièrement contraignante de ce qu’il fallait entendre par sols artificialisés ou non. Par exemple : les parcs et jardins publics étaient considérés comme artificialisés.
La loi et le décret précités ont suscité des levers de boucliers de la part des élus locaux pour qui les contraintes imposées rendaient plus que difficile le développement économique et les réponses aux nécessités de l’habitat. En quelque sorte, ils se considéraient comme des funambules, sur la corde raide à qui l’Etat aurait enlevé leur balancier. Par l’intermédiaire de leurs différentes associations (dont celle des Maires de France (l’AMF)), les élus locaux ont alerté ministres et parlementaires.
Déjà, fin 2022, le Gouvernement laissait entendre qu’il faudrait : ‘‘adapter le décret de 2022 afin ‘‘d’en améliorer la lisibilité et l’opérationnalité’’. Aimable litote laissant entendre qu’il avait été mal conçu. Devant la grogne des élus locaux (régions, départements, communautés d’agglomération, communes), il a été décidé de compléter les règles précitées.
Une nouvelle loi.
C’est le Sénat qui a dégainé le premier. Durant le premier semestre 2023, il a conçu et voté une proposition de loi dont le texte était censé desserrer l’étau des contraintes imposées aux collectivités territoriales en matière de non artificialisation des sols. En urgence, le jour même du vote, le texte a été transmis à l’Assemblée Nationale. Cette dernière l’a étudié et amendé en réduisant ses prétentions. Selon les termes de la Constitution, il fallait donc que se réunisse une commission mixte paritaire de parlementaires afin de trouver un accord. C’est ce qui a été fait début juillet. En 24 heures, cette commission a trouvé un terrain d’entente sur un texte commun. Il a été voté, à la mi-juillet, par les deux assemblées et promulgué le 20 juillet. Son titre subtil indique que la nouvelle loi vise : ‘‘à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux’’.
Derrière cette aimable définition et ses louables intentions, l’étude du texte montre que l’assouplissement affiché n’est, en fait, que de pure forme et qu’en réalité la loi de 2023 ajoute de nouvelles contraintes et complexifie le texte de la loi climat et résilience de 2021, sans le rendre plus lisible. Que dit la nouvelle loi ?
1 - Elle crée, dans chaque région, une conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols. Cette conférence est présidée par le président de région :
- elle est composée d’élus régionaux, départementaux et communaux ainsi que de représentants de l’Etat. Des associations environnementales ‘‘peuvent’’ y siéger ou être consultées (au bon vouloir du président de la région),
- elle peut se réunir au niveau départemental,
Le texte de loi ne donne à cette conférence régionale dite ‘‘de gouvernance’’ que des pouvoirs de gestion limités, un rôle d’analyses, d’établissement de bilan et d’objectifs de réduction d’artificialisation.
2 - Que fait-on lorsque l’on veut desserrer les contraintes d’une règle ? On créé des exceptions et des dérogations. On change le positionnement initial du curseur. Encore ne faut-il pas faire semblant ! A priori, on pourrait penser que la loi de 2023 assouplit celle de 2021 en comptant ‘‘à part’’ l’artificialisation liée à des projets ‘‘d’envergure nationale ou européenne’’. La liste de ces projets qui n’impacteront pas ‘‘l’enveloppe’’ d’artificialisation régionale est conséquente et ratisse large :
- travaux qui ‘‘sont ou peuvent être’’ déclarés d’utilité publique et donnant lieu à une procédure d’expropriation publique,
- travaux de construction de lignes TGV,
- projets industriels ‘‘d’intérêt majeur’’ pour la souveraineté nationale ou la transition écologique,
- opérations d’aménagement de grands ports maritimes ou fluvio-maritimes de l’Etat,
- opérations relatives à la défense ou à la sécurité nationale,
- travaux de construction ou de réhabilitation de centres pénitentiaires,
- réalisation d’un réacteur électronucléaire,
- construction ou aménagement de postes électriques supérieur ou égal à 200 kilovolts.
S’agissant de l’artificialisation des sols générée par ces projets, une enveloppe spécifique de 12.500 hectares est prévue pour la décennie en cours (soit 10% de l’enveloppe totale). Les éventuels dépassements ne seront pas imputés aux collectivités territoriales. En cas de désaccord entre l’Etat et la région concernée sur le périmètre de ces travaux, il est prévu une commission régionale de conciliation présidée par un magistrat.
En réalité, ces 12.500 hectares sont déduits de l’enveloppe nationale des 125.000 hectares qui, au maximum, pourront être artificialisés en France durant la décennie actuelle. Donc, ce comptage à part, n’augmente pas les ‘‘droits à tirage’’ des collectivités territoriales et ne constitue en rien un assouplissement de la loi de 2021.
3 - Pour chaque commune dite ‘‘rurale’’, la loi de 2023 institue une enveloppe d’artificialisation forfaitaire de 1 hectare. Cela concerne les communes de moins de 10.000 habitants, soit près de 35.000.
Ainsi, s’agissant de notre Communauté d’Agglomération (Tarbes-Lourdes-Pyrénées), forte de 83 communes éligibles au futur SCoT, on pourrait supposer que ‘‘la dotation’’ de 220 hectares maximum qui peuvent être artificialisés d’ici 2030 sera portée à 301 hectares. En fait, la loi de 2023 se garde bien d’affirmer cette hypothèse. Tout au contraire, les contacts que nous avons eu avec les services de l’Etat et des collectivités territoriales conduisent à penser que ce ‘’droit de tirage’’ communal est compris dans la dotation initiale. Donc pour notre Communauté d’Agglomération, dans les 220 hectares qui représentent 50% de l’artificialisation de la décennie 2009-2019, il faudra en théorie isoler 81 hectares dédiés aux communes (hors Tarbes et Lourdes). Ce qui réduit d’autant l’amplitude des projets d’envergure. Il s’agit donc, en fait, d’une contrainte supplémentaire imposée aux collectivités territoriales.
4 - La loi allonge de quelques mois le délai donné aux documents d’urbanisme régionaux (SRADDET) et infra-départementaux (SCoT) afin d’établir un calendrier fixant les étapes quantifiées pour atteindre le Zéro Artificialisation Nette en 2050 [le SRADDET piloté par les Régions est le Schéma Régional d’Aménagement de Développement Durable et d’Egalité des Territoires. Il fixe les règles d’urbanisme et d’aménagement du territoire pour la région concernée].
Deux nouveaux décrets.
En parallèle de la loi précitée, vont paraître deux nouveaux décrets relatifs à ‘‘l’évaluation et au suivi de l’artificialisation des sols’’. L’un est consacré aux conférences régionales et aux commissions de conciliation. L’autre précise et modifie le contenu du décret de 2022. Ainsi :
- Le bâti est comptabilisé comme artificialisé à partir d’une emprise au sol de 50 m².
Le décret apporte des précisions sur ce qu’il convient de considérer comme artificialisé ou non sur un périmètre de 2500 m².
Sont considérés comme artificialisés : les surfaces végétalisées herbacées à usage résidentiel (si elles ont une superficie arborée d’au moins 25% (à 24,9% la superficie est donc considérée comme artificialisée !).
Sont considérés comme non artificialisés : les surfaces urbaines arbustives, les parcs et jardins publics, les friches, les carrières et les champs de panneaux photovoltaïques.
Le décret prévoit de fournir des données aux collectivités territoriales via le CEREMA et l’Observatoire de l’artificialisation : tableau de bord de suivi de consommation d’espaces, etc.
Attendons la suite, en souhaitant que l’atteinte du fameux ZAN ne se réduise pas, et ce bien au- delà de l’an 2050, à un simple mirage.